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Phyllis Webstad et la chemise orange

À l’âge de six ans, Phyllis Webstad allait bientôt commencer l’école. Ayant grandi dans la réserve Dog Creek dans le district central intérieur de Cariboo, en Colombie-Britannique, elle était inscrite au pensionnat de la mission St. Joseph près de Williams Lake. Alors impatiente quant à la rentrée des classes, elle s’est rendue en ville avec sa grand-mère pour acheter de nouveaux vêtements. Sa grand-mère l’a encouragée à prendre quelque chose qu’elle aimait et Phyllis choisit une chemise orange. Sa couleur était très vive, et elle présentait un lacet à l’avant. Elle en garde un souvenir très vif, car elle incarnait son enthousiasme à l’idée d’aller à l’école. Lors de son premier jour d’école en septembre, elle a fièrement enfilé sa chemise et s’est rendue au pensionnat. Elle ne la porta plus jamais.

L’école a confisqué aux enfants les vêtements qu’ils portaient et les a remplacés par des vêtements communs, souvent mal ajustés et peu flatteurs. Phyllis a perdu sa chemise adorée, qu’elle ne reverra jamais. Elle était bouleversée et n’arrivait tout simplement pas à comprendre pourquoi quelque chose qui lui appartenait pouvait lui être retiré et ne pas lui être retourné. Ce qu’elle ne savait pas encore à ce moment-là, c’est que l’école lui enlèverait beaucoup plus encore : son estime de soi, sa dignité et l’amour de sa famille. Au pensionnat, personne ne fit le moindre effort pour prendre soin des enfants ou créer un environnement qui leur rappellerait les maisons qu’ils avaient quittées, où ils avaient été élevés par leur famille, leurs amis et leur communauté qui les valorisaient. Mais c’est par-dessus tout la perte de ces proches qu’elle a le plus ressentie. Sa mère et sa grand-mère étaient soudainement absentes de sa vie; elle ne pouvait même pas être avec son cousin plus âgé, qui fréquentait également le pensionnat, car les enfants étaient séparés en fonction de leur âge. Phyllis a subi une période de privation émotionnelle et de violence psychologique, dont elle a gardé des séquelles jusqu’à l’âge adulte.

Le souvenir de sa chemise orange est lui aussi resté. Par un cruel retournement de situation, la couleur orange lui rappelait non seulement la chemise qui lui avait été enlevée, mais aussi le sentiment d’inutilité qu’elle éprouvait : le sentiment que personne ne se souciait d’elle et que ses sentiments n’avaient aucune importance. Elle ne comprenait pas pleinement l’origine de ces sentiments, qui ont eu une incidence sur sa façon de vivre et d’interagir avec les autres pendant des décennies. Cependant, à l’âge de 27 ans, sa compréhension a commencé à s’approfondir. Elle a décidé de se reprendre en main et a entrepris un voyage vers la guérison, qui se poursuit depuis.

Une étape importante de ce voyage a été franchie lorsque la Commission de vérité et réconciliation a commencé ses travaux en Colombie-Britannique et qu’on a demandé à Phyllis de raconter ce qu’elle avait vécu au pensionnat. Ne sachant trop comment aborder le sujet, elle a choisi de raconter l’histoire de sa chemise, et de porter un pull orange tout en la racontant. Pour elle, cette perte symbolisait la perte de tout ce qui l’avait soutenue lorsqu’elle était enfant. En racontant son histoire au fil du temps, elle a commencé à exprimer une pensée qui cristallisait tous ses sentiments à l’égard des pensionnats et de son expérience d’enfance : Chaque enfant compte.

Cette pensée s’est renforcée, et alors que Phyllis commençait à raconter son histoire à de plus en plus de gens – d’abord localement, puis progressivement dans tout le pays –, l’histoire de la chemise orange a trouvé écho. Elle est devenue un symbole de la résilience des survivants des pensionnats, qui ont surmonté les traumatismes, la négligence et les abus. La première Journée de la chemise orange a eu lieu le 30 septembre 2013 à Williams Lake et est depuis devenue un événement national. Les enfants et les familles de partout au Canada honorent maintenant les histoires et les expériences des survivants en portant de l’orange chaque année, à la fin du mois de septembre. Ce qui avait commencé comme une histoire personnelle est devenu une commémoration largement partagée, soutenue par l’organisme à but non lucratif Orange Shirt Society, établi à Williams Lake. L’organisme s’engage à :

  • soutenir la réconciliation relative aux pensionnats autochtones;
  • sensibiliser les gens au sujet des répercussions intergénérationnelles individuelles, familiales et communautaires des pensionnats autochtones;
  • promouvoir le concept Chaque enfant compte.

Phyllis ne s’attendait jamais à ce que son histoire prenne une telle ampleur, mais elle est désormais ancrée dans la conscience nationale. Cela a été confirmé en juin de cette année, lorsque le gouvernement fédéral a adopté une loi faisant du 30 septembre un jour férié fédéral, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, pour répondre à l’appel à l’action no 80 de la Commission de vérité et réconciliation. Comme d’autres, BMO honore ce jour férié en reconnaissant que nous avons encore beaucoup de travail à faire sur la voie de la réconciliation.

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